Société à Mission : la solution pour un monde de l’entreprise (enfin) durable ?
13/05/2020
Suite de notre série sur les Sociétés à Mission (4/6). Aujourd’hui nous nous demandons si le concept de Société à Mission est bel et bien le chaînon manquant pour tendre vers un modèle d’entreprise durable.
Dans les épisodes précédents :
Nous vous avions présenté le concept de Société à Mission, vu les liens existants avec la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) et analysé les modèles similaires qui existent à l’international.
Les concepts de DPEF et de Société à Mission se rejoignent et se complètent. En réfléchissant à sa démarche RSE, une entreprise franchit un premier pas essentiel pour comprendre et maîtriser ses risques extra-financiers, ce qui peut constituer un travail préparatoire à la définition d’une raison d’être par la suite si elle en a le projet.
Tout ceci est bien séduisant et assez logique présenté ainsi mais qu’apporte réellement ce nouveau concept ? Les Société à Mission sont-elles le moyen que nous attendions pour redéfinir un monde des entreprises qui serait durable ?
En 2018, Larry Fink dirigeant de Black Rock, plus gros fonds d’investissement au monde, incitait déjà les entreprises dont il est actionnaire, à œuvrer pour le bien commun. Mais par quels moyens le peuvent-elles ?
Depuis les lois Grenelle II, la RSE a été utilisée comme un levier de valorisation des actions réalisées pour rendre plus responsable son activité et établir une plus grande transparence avec ses parties prenantes. Elle était ainsi surtout perçue comme compensatrice et réparatrice des impacts d’une organisation. Mais plus récemment, elle a commencé à s’imposer comme un véritable outil stratégique de développement en travaillant directement sur le modèle d’affaires d’une entreprise.
Néanmoins, nous pouvons supposer que la qualité de Société à Mission va plus loin en proposant de définir la raison d’être d’une organisation qui soit bénéfique à la société. Cela demande une grande prise de recul en concertation avec tous les acteurs pour se pencher sur le but final de cette organisation. C’est une réelle démarche stratégique qui donne le cap à suivre afin d’œuvrer pour le bien commun.
Du côté de la règlementation, les Société à Mission doivent se faire auditer tous les deux ou trois ans1, selon la taille de l’entreprise, par un Organisme Tiers Indépendant (OTI) afin de faire l’état des lieux sur l’avancée de la mission et notamment sur l’atteinte des objectifs définis. De ce point de vue aussi, nous pouvons supposer que le principe de Société à Mission est plus engageant que l’existant, car la sanction est plus forte. En effet, une Société à Mission peut se voir retirer son statut si l’OTI juge qu’un nouveau travail de fond est nécessaire. Nous pouvons penser que les entreprises engagées feront tout pour éviter de perdre ce statut afin de ne pas décevoir leurs parties prenantes.
Ce nouveau concept nous semble donc être une réelle avancée pour apporter plus de valeurs et de sens aux entreprises. Mais comme dans toute nouveauté, des éléments restent perfectibles et à clarifier.
Mais, il y a des limites…
On peut d’abord se demander si ce nouveau statut de société à mission ne vient pas ajouter de la confusion dans un monde où les entreprises et leurs marques ont déjà recours à pléthore de labels et certifications pour sortir leur épingle du jeu et/ou prouver qu’elles s’engagent pour un monde plus durable. Alors que les consommateurs et clients peinent déjà à s’y retrouver dans cette jungle de labels, le statut de société à mission ne contribuerait-il pas à brouiller davantage les pistes ? Il existe avec ce statut un risque d’amalgame avec les organisations à but non lucratif et avec celles de l’économie sociale et solidaire (ESS), ce dernier sigle demeurant encore obscur pour le plus grand nombre, malgré les années qui se sont écoulées depuis son apparition. Cette opacité peut conduire à une reconnaissance très limitée du statut de société à mission à sa juste valeur, réservée à une communauté d’entreprises déjà tournées vers l’éthique et la RSE et qui n’avaient donc pas besoin de cette nouveauté pour identifier leurs pairs…
Deuxièmement, sur le plan juridique, la définition de ce qui peut faire l’objet de la mission reste assez floue et laisse le champ libre à la fixation d’objectifs peu engageants, faciles à atteindre. Arrive ici le risque du purpose washing. L’important est donc bel et bien de traduire cette mission en challenges qui poussent à l’action et à l’amélioration continue. A moyen terme, raison d’être et mission doivent pouvoir se traduire et être identifiées à tous les échelons de l’entreprise : dans sa gouvernance, ses méthodes de management, sa stratégie, ses relations commerciales… Sans ces éléments concrets, le passage au statut de société à mission passera au mieux inaperçu, au pire sera interprété comme une tentative de purpose washing. D’autant plus que “mission” ne signifie pas “impact” : au risque de perdre en crédibilité, la société à mission devra veiller à poursuivre ses objectifs en empruntant une voie la plus durable possible.
Enfin, la crédibilité des sociétés à mission est également fondée sur le fait qu’un audit de validation sera effectué sur une base régulière par un organisme tiers indépendant (OTI). Pour que cet aspect garde toute sa valeur, il est nécessaire que ces OTI travaillent sur un référentiel commun et précis qui ne laisse pas une part trop importante à l’interprétation. L’enjeu ici est de s’assurer que tous aient un niveau d’exigence comparable dans l’identification des progrès attendus pour la conservation du statut de société à mission. Cependant, dans une tribune parue au Monde, le juriste Dominique Schmidt rappelle que les tribunaux eux-mêmes « jugent depuis longtemps que la société doit être gérée dans l’intérêt social et sanctionnent les actes et décisions non conformes à cet intérêt ».
En conclusion, ce nouveau statut est intéressant car engageant et car, avec lui, il ne s’agit plus de limiter les risques RSE mais d’agir globalement, à tous les niveaux, pour poursuivre un objectif vertueux lié à l’intérêt général. Pour que la société à mission fonctionne bien dans ce sens, il est primordial de traduire ces objectifs en actions et d’impliquer tous les collaborateurs : leur adhésion et leur engagement sont des facteurs clés de succès. Cependant, il faut se méfier du purpose washing qui pourrait fleurir avec ce nouveau statut : la société à mission ne doit pas devenir une vitrine derrière laquelle se cacheraient d’autres filiales moins responsables. Le type de mission éligible à l’obtention du statut mériterait également d’être précisé.
Rédigé par Kelly Casagrande et Julien Hamon
1 À cet audit tous les deux ou trois ans s’ajoute un audit interne annuel effectué par le Comité de mission désigné.
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