Retour d’expérience des sociétés à missions
24/06/2020
Pour faire suite aux articles précédents qui présentaient le concept de société à mission, le lien avec la déclaration de performance extra-financière, les équivalents à l’étranger et leur apport au domaine du développement durable, nous avons rencontré deux entreprises pionnières, qui formalisent en ce moment même cette démarche au sein de leurs statuts et de leurs pratiques. Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Hubert POUPELIN (HP), Directeur Marketing & Associé chez Connexing, et avec Ludovic AVENTIN (LA), fondateur de Terra Hominis, qui ont bien voulu partager leurs réflexions et leurs expériences gagnées en devenant des sociétés à mission.
Pouvez-vous nous présenter votre société ?
Hubert POUPELIN (HP) : Connexing a été créée en 2009 avec une offre initiale de téléphonie recyclée pour les entreprises. Avec le temps l’offre s’est élargie à tout le matériel IT (informatique), toujours dans le cadre de services BtoB. L’entreprise opère en Europe de l’Ouest avec des bureaux à Milan, Bruxelles et Nantes, et avec deux ambitions principales : permettre aux entreprises d’économiser et les engager dans la démarche vertueuse du recyclage et du réemploi. C’est justement parce que Connexing s’est construite autour de cet enjeu environnemental que le lancement de la société à mission est apparu comme une évidence.
Ludovic AVENTIN (LA) : En proposant aux particuliers adhérents de réaliser un investissement « plaisir » dans des vignobles, Terra Hominis aide les jeunes vignerons à s’installer, à se développer et à préserver les terroirs. Depuis 2011, ce système de financement participatif viticole, associé à la gestion des vignobles en copropriété, est réalisé dans le respect des valeurs suivantes : plaisir, convivialité, entraide, partage, respect de l’environnement et transmission des propriétés aux jeunes générations. Aujourd’hui, nous avons établi 27 vignobles en copropriété avec le soutien de 2100 associés.
Qu’est-ce que la qualité de société à mission vous a apporté ?
HP : Tout d’abord, cette démarche est venue concrétiser, et par là, crédibiliser le travail RSE que nous avions entamé depuis plusieurs années. Cela fait partie de notre ADN de prendre en compte l’environnement, le bien-être de nos employés, etc. De plus, cela nous a poussé à restructurer notre offre, notamment avec la mise en place d’un service de location de matériel informatique que nous tâchons de privilégier plutôt que la vente. Enfin, nous avons remarqué une plus forte implication des salariés, par exemple pour participer à des projets académiques sur le Green IT ou pour réaliser du mécénat de compétences.
LA : La mission de Terra Hominis est la préservation des terroirs français et d’empêcher la disparition des installations agricoles. Le fait de devenir société à mission permet d’inscrire cette volonté d’utilité sociétale profonde et notre mission d’intérêt public qui nous animent depuis le départ. Nous annonçons également, en la formalisant dans nos statuts, que nous sommes prêts à être contrôlés sur cet aspect et que nous engageons notre responsabilité.
Notre raison d’être est de préserver la force de nos vignobles et la diversité de nos vignerons. La nouvelle structure juridique amplifie notre rôle de défense et de soutien à la viticulture pour préserver la diversité des terroirs et des vignerons. Nos associés sont devenus de véritables missionnaires du vin. Cela donne aussi une meilleure visibilité du travail effectué par les équipes Terra Hominis et par là conforte nos 2100 associés dans la confiance qu’ils nous ont accordé. Ce statut permet également de faciliter les relations avec les vignerons et de fluidifier ainsi la sélection de ces derniers, de les aider à développer des partenariats et de soutenir l’obtention de prêts bancaires. Le modèle proposé par Terra Hominis prend par ailleurs tout son sens en cette période de crise : la communauté d’associés s’est mobilisée pour soutenir les vignerons pendant et après le confinement en achetant leurs cuvées. Cela a permis un apport de trésorerie conséquent et nécessaire au maintien de leur activité.
Plus globalement, les entreprises de demain ne peuvent plus se limiter à faire du profit ; elles doivent également avoir un rôle, une conscience sociale et environnementale. La crise sanitaire que nous avons traversé n’a fait que renforcer ce constat. La société à mission est l’entreprise de demain !
Quelles sont vos étapes clés vers l’obtention de votre statut de société à mission ?
HP : En tout, le processus nous a pris une année. Le point de départ a été la décision par les associés de devenir société à mission, faisant de nous les sponsors du projet. Ensuite, il a fallu faire adhérer nos collaborateurs et récolter leurs opinions sur les éléments clés qui permettraient de définir la raison d’être. Le séminaire d’entreprise a été clé pour cette étape car nous avons pu dédier le temps et l’attention nécessaire à ce projet.
Avant de rédiger la raison d’être, nous avons listé les « rites » de l’entreprise, à savoir les petites habitudes, règles et autorisations, officieuses de l’entreprise (ex : télétravail autorisé, modulation des horaires, et même bermudas et tongs autorisés en été). De ce travail, nous avons tiré les valeurs de l’entreprise, sa mission et enfin sa raison d’être : « Make It human, simple, green & clever. »
Ce travail de rédaction de la raison d’être et de préparation au statut de société à mission nous a pris 9 mois environ. Les 3 derniers mois du processus pour obtenir le statut ont été dédiés aux sujets administratifs. Il a fallu notamment expliquer au tribunal du commerce ce qu’était une société à mission, car le concept était encore trop nouveau !
Avez-vous eu recours à un soutien externe pour mener à bien ce projet ?
HP : Un cabinet juridique a pris en charge toutes nos démarches administratives. Par ailleurs, après l’obtention du statut société à mission, il a fallu définir des indicateurs de performance en lien avec notre raison d’être et cette tâche s’est avérée assez difficile : nous avons eu besoin de soutien sur ce point également. Toovalu est venue à notre rescousse et nous a aidé à trouver des instruments de mesure appropriés. Enfin, nous avons eu un recours à un guide des entreprises à mission qui s’est trouvé très utile tout au long du processus de préparation !
LA : J’ai entendu parler du statut de société à mission pour la première fois sur France Inter, qui évoquait un rapport nommé « Entreprise d’intérêt collectif » fait pour le Ministre de la transition écologique et solidaire, de l’économie et des finances du 9 mars 2018 par Nicole Notat (secrétaire générale CFDT) et Jean Dominique Sénard (Président de Michelin). Après avoir décidé nous lancer, au tout début de notre démarche, nous nous sommes rapprochés d’un cabinet juridique et avons mené une veille active ensemble sur le concept de société à mission.
Comment allez-vous faire vivre ce statut pour l’intégrer de façon durable dans vos activités ?
HP : Nous avons nommé un comité d’impact qui suit les indicateurs et définit les actions nécessaires à l’avancement de nos objectifs. C’est d’ailleurs la date de la première réunion de ce comité, en janvier 2020, que nous considérons comme le lancement effectif de notre nouveau statut.
LA : Nous avons mené un bilan RSE initial avec l’ensemble des salariés de Terra Hominis, puis nous avons mis en place un état des lieux trimestriel. Durant ces états de lieux nous répartissons les objectifs et les responsabilités. Un référent a été nommé en interne pour suivre nos objectifs RSE et un bilan annuel sera dressé sur les actions menées en ce sens. C’est du bon sens finalement !
Terra Hominis a également lancé un partenariat avec une association indépendante « Comité d’Ethique pour la Transition Viticole » qui aide à la sélection des vignerons.
Quels sont les principaux obstacles auxquels vous avez dû faire face ?
HP : Au-delà de nos difficultés en interne à faire avancer les choses rapidement, nous avons trouvé que certaines parties prenantes liées à la finance voyaient les aspects négatifs de la démarche (ex : contraignante, impact sur la valorisation de la société, etc.) avant d’en voir les côtés positifs. Nos clients étaient au contraire plus soutenants car ils étaient déjà sensibilisés à la stratégie RSE de Connexing.
LA : L’idée d’associer une mission d’intérêt publique, qui dépasse le strict intérêt financier, à l’entreprise est difficile à envisager pour beaucoup de dirigeant.e.s politiques et chef.fe.s d’entreprise. Ce qui est absurde car beaucoup de TPE cultivent une éthique responsable spontanément sans le formaliser ou le dire.
D’autre part, les greffes du Tribunal de Commerce de Béziers ne disposaient pas de moyens techniques suffisant pour pouvoir enregistrer ces nouveaux statuts. Cela fut seulement possible en avril 2020 ! La société est la seule à être inscrite à ce jour dans l’Hérault et dans le monde viticole.
Auriez-vous des conseils pour les entreprises qui s’apprêtent à se lancer dans le processus d’obtention de ce statut ?
LA : Beaucoup de sociétés ont déjà de bonnes initiatives RSE, mais qui ne sont pas encore affirmées par des textes. Globalement, l’entreprise est encore mal vue en France : ce statut peut permettre de donner une meilleure vision de ce que l’on fait. Les clients et la société dans laquelle nous vivons sont aussi, et vont devenir, de plus en plus en attente de cela, même sans le savoir. Comme disait Monsieur Churchill, il vaut mieux prendre le changement par la main plutôt que celui-ci vous prenne par la gorge !
Je conseille aussi de se lancer, même si la démarche n’est pas parfaite au début, c’est déjà une première avancée dans le bon sens. Et cela doit rester simple, il n’y a pas besoin de construire une démarche complexe.
Merci à Hubert Poupelin et à Ludovic Aventin du temps qu’ils ont consacré à ces entretiens et de la franchise dont ils ont fait preuve. Nous espérons que ce partage de connaissances servira à beaucoup d’autres.
CITATIONS
« Avant d’être dirigeant d’entreprise, je suis citoyen et ce statut me donne le sentiment d’avoir le pouvoir à mon échelle de faire bouger les lignes. Je deviens acteur de la société dans laquelle je vis. » (Ludovic Aventin)
Interviews menées par Anaïs Meunier, Camille Bouquet et Romain Fiat
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